dimanche 1 mars 2015

L'Afrique ou comment le colonialisme perdure

La course effrénée pour développer des plantations de palmier à huile en Afrique est un double coup dur pour le continent. D’une part, elle s’accompagne d’une opération massive d’accaparement des terres et des ressources alimentaires des populations, et d’autre part elle détruit aussi directement les moyens de subsistance de millions de personnes participant au secteur traditionnel de l’huile de palme en Afrique. Ce n’est pas la première fois que des intérêts étrangers poussent à l’expansion du palmier à huile en Afrique. Au cours de l’occupation coloniale du continent, les puissances européennes se sont intéressées à l’huile de palme pour la fabrication de lubrifiants industriels et de bougies. Les familles africaines ont été obligées de payer aux autorités coloniales un impôt, connu sous le nom de « takouè » au Bénin, sous la forme d’huile et de noix de palme. Le roi Léopold II de Belgique a obligé tous les agriculteurs de la province de l’Équateur au Congo à planter 10 palmiers par an.(1)

Les puissances européennes ont également mis en place leurs propres plantations de palmier à huile à cette époque. Des plantations ont été créées en Afrique centrale et en Asie du Sud-Est et de l’Ouest. Des stations de recherche et des missions de collecte ont été lancées pour développer des variétés de palmier à huile à haut rendement, en croisant des variétés traditionnelles ou sauvages. Avec l’indépendance, la plupart de ces plantations et stations de recherche ont été nationalisées, et les nouveaux gouvernements africains ont redynamisé le développement de la production nationale.

Au Bénin, par exemple, une entreprise publique, la Société nationale du développement rural (SONADER) a développé des plantations de palmier à huile dans le Sud immédiatement après l’indépendance, tandis qu’une autre entreprise d’État, la Société nationale pour l’industrie des
corps Gras (SONICOG), a construit de nouvelles raffineries d’huile de palme, et des usines de transformation des noix de palme.
Cependant, à la fin des années 1990, la Banque mondiale et des donateurs ont imposé des programmes d’ajustement structurel et ont forcé les gouvernements africains à privatiser leurs compagnies nationales d’huile de palme et à vendre leurs plantations et leurs huileries. Tandis que de nombreuses entreprises nationales s’effondraient purement et simplement, des entreprises européennes avec d’anciens liens coloniaux s’emparaient des activités les plus lucratives. La SOCFIN, contrôlée par les milliardaires Vincent Bolloré, de France et Hubert Fabri, de Belgique, a repris les entreprises nationales au Cameroun, en RDC, en Guinée et au Nigéria. La SIAT, détenue par la famille du magnat sud-africain du diamant Ernest Oppenheimer et la famille belge Vandebeeck, ont pris le contrôle de plantations au Gabon, au Ghana et au Nigéria, tandis qu’une autre vieille fortune belge, la SIPEF a pris une participation dans les plantations de palmier à huile d’État en Côte d’Ivoire. Unilever, l’une des plus grandes et des plus anciennes sociétés agroalimentaires du monde, a aussi remporté des plantations en RDC, au Ghana et en Côte d’Ivoire.
On assiste aujourd’hui, à une deuxième vague de prises de participation étrangères dans les plantations de palmier à huile en Afrique. Comme il est de plus en plus difficile et coûteux d’acquérir des terres pour des plantations de palmier à huile en Malaisie et en Indonésie, les entreprises et les spéculateurs cherchent à explorer de nouveaux espaces pour la production à l’exportation. Certains capitaux vont en Papouasie et en Amérique latine, mais la principale cible est l’Afrique. Toute une série de sociétés, depuis des géants asiatiques de l’huile de palme jusqu’à des établissements financiers de Wall Street, se bousculent pour obtenir le contrôle sur des terres du continent qui conviennent à la culture du palmier à huile, en particulier dans l’Ouest et le Centre. 


Au cours des cinq dernières années, de vastes superficies de terres en Afrique ont été attribuées à des entreprises étrangères pour des plantations de palmier à huile par les gouvernements africains, avec une consultation minimale, voir absente, avec les populations concernées et de nombreuses allégations de corruption. L’Annexe 1 donne une liste de 60 transactions, portant sur près de 4 millions d’hectares au cours des 15 dernières années. De nombreux acteurs différents sont impliqués. On y trouve des sociétés asiatiques de plantations de longue date, comme Wilmar et Sime Darby, et des multinationales du commerce de l’huile de palme, Planète huile de palme comme Cargill et Olam, tous deux cherchant à établir en Afrique une nouvelle base pour l’approvisionnement des marchés mondiaux en huile de palme. Mais la plupart des nouveaux venus ne sont en fait que de petites sociétés inconnues, généralement domiciliées dans des paradis fiscaux, dont les propriétaires avaient seulement l’intention de conclure des transactions foncières et ensuite de vendre leurs entreprises dès que possible à des acteurs plus importants disposant de la capacité de développer les plantations. Il est même difficile de savoir qui sont les propriétaires de ces entreprises.

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(1).World Rainforest Movement, « Le palmier à huile en Afrique : le passé, le présent et le futur », 2010.

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