samedi 9 juillet 2016

Taxe "Nutella": l'analyse de Laurence Duthu

Une nouvelle fois l'amendement visant à taxer l'huile de palme industrielle a été rejeté par le Sénat. Cette prise de position laisse le champ libre aux producteurs de nous inonder toujours plus de leur huile mais surtout aux industriels d'utiliser sans retenue cet oléagineux avantageux pour engranger des bénéfices au combien désastreux pour l'environnement.

Pour mémoire, le premier amendement de taxation date de 2013 dans le cadre du projet de loi sur le financement de la Sécurité Sociale. Le second de 2015 à l'occasion du projet de loi sur la modernisation de la santé. Le troisième et dernier amendement date de janvier 2016 dans le cadre du projet de loi sur la biodiversité. A chaque reprise, le lobby "huile de palme" bien implanté en France a fait échouer cette "taxe nutella" comme elle a été singulièrement nommée. Reprenons les faits.

En juillet 2013, Jean-Marc Ayrault alors Premier Ministre est en visite officielle en Malaisie et déclare lors d'une conférence de presse commune avec son homologue malaisien, je cite "Il faut éviter les malentendus : la France n'est pas hostile à l'huile de palme" en rajoutant "Au Parlement, une initiative avait été prise de taxer les produits contenant les huiles de palme. Cette proposition parlementaire n'a pas été suivie ni soutenue par le gouvernement. Donc il n'est pas du tout envisagé une pénalisation fiscale de l'huile de palme." Monsieur Ayrault ne parle pas de la pression exercée alors par le gouvernement malaisien, part le biais des échanges économiques afin que cette taxe ne voit jamais le jour.

En 2015, ce sont plusieurs sénateurs à l'origine de ce rejet dont Madame Catherine Procaccia et c'est encore elle avec d'autres comparses qui ont fait échouer le dernier projet de loi de 2016. Il est important de connaître les faits et dires de cette dame aux amitiés ambiguës.

En mars 2014, Madame Procaccia s'était exprimée sur le fait que des entreprises françaises n'utilisent pas d'huile de palme dans la composition de leurs produits en déclarant «Je pense qu’il faut sanctionner les distributeurs et les industriels qui surfent sur la vague du ‘sans huile de palme’ et qui en font un message publicitaire.» A ce moment là, elle était la Présidente du Groupe d'amitié interparlementaire France-Indonésie et Timor-Est. Pour rappel, l’Indonésie est le premier producteur d'huile de palme mondial.
Pour parfaire le tout afin d'être bien aux mains des lobbies, Madame Procaccia a été l'invitée quelques mois plus tôt de l'Institut de Recherche Clinique sur le symposium de l'huile de palme qui s'apparente plus un groupe de pression qu'à un groupe de recherche et dont le fondateur est un ancien d'un think tank libéral.

Pour ce projet de loi sur la biodiversité, les chefs de fil de l'opposition sont Mesdames Catherine Procraccia, Catherine Deroche et Monsieur Jacques Gautier, tous membres du groupe Les Républicains et du Groupe d'amitié interparlementaire France-Indonésie et Timor-Est. 

Lors du débat au Sénat se déroulait le 11 février une rencontre non loin d'être anodine. Les trois protagonistes cités ci-dessus ont reçu M. Thomas T. Lembong, ministre indonésien du commerce, pour un entretien consacré à la question de l’huile de palme. Le ministre a indiqué qu’une solution de compromis pourrait consister à introduire une taxe d’un montant plus modique, dont les recettes alimenteraient un fonds pour le financement de la lutte contre la déforestation. De qui se moque-t-on ? Est-ce aux français de payer le fait que l'Indonésie soit en grande partie déforestée ? L'Indonésie touche des recettes de cette exploitation et pourrait depuis longtemps s'en servir pour réellement s'opposer à la déforestation. Rappelons que l'ancien Président détenait des concessions de palmiers à huile... 

Monsieur Gautier estime que "la production d’huile de palme a permis de faire sortir de la pauvreté de nombreux paysans, d’abord en Malaisie puis en Indonésie. Elle pourrait avoir le même effet positif, à l’avenir, dans plusieurs pays africains, à condition qu’elle soit respectueuse de l’environnement." Il est clairement visible, et cela depuis des décennies, que les millions d'hectares de palmiers à huile plantés en Asie du Sud-Est sont très loin du respect de l'environnement. Comment dans ce contexte peut-il voir un aspect positif social quand son environnement est détruit et proposer un tel conseil ?
Cécile Philippe de l’Institut Économique Molinari a souligné que la taxation de l’huile de palme ne pouvait être justifiée pour des raisons environnementales. Selon elle « L’huile de palme n’est pas ce monstre environnemental qu’on veut nous dépeindre" (La Tribune) et taxe même de "lobby environnemental" ceux qui osent défendre l'un des poumons de la Terre. Pour information, l'Institut Economique Molinari est un organisme de recherche et d'éducation qui se donne pour mission d'influencer les parlementaires, les journalistes et les faiseurs d'opinion dans le but de favoriser une politique économique libérale. À cette fin, l'institut organise des événements, publie des livres, écrit des articles et des éditoriaux.

Pour terminer, il est bon de souligner les mots de l'ancien Premier Ministre, en exercice à l'époque, Monsieur Ayrault: "dès l'année prochaine, il va y avoir une réglementation européenne qui rendra obligatoires les indications du nom des huiles utilisées". "L'huile de palme ne sera pas traitée à part, elle sera traitée comme toutes les autres huiles". À ce jour l'huile d'olive est taxée 40% de plus que l'huile de palme.

Lobby quand tu nous tiens...


Auteure : Laurence Duthu